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Blonde et innocente

 

Blonde et innocente …

Qui s’intéresse à leur vie ?

Comme d'habitude on ne l'avait pas prévenue. On ne leur disait jamais. C'était alors si facile de les laisser dans l'ignorance, l'insouciance. Elle était heureuse, bien sûr : elle ne connaissait rien d'autre que cette petite vie tranquille, bien au chaud, parmi les autres. "Quelle monotonie !", aurait-on pu dire, mais sans doute l'ennui n'existe-t-il pas lorsqu'on n'a jamais été occupé. Et d'ailleurs on ne le disait pas : qui serait venu se pencher sur son sort, sur leur triste sort ? Enfermées mais n'ayant jamais connu la liberté, serrées mais ne sachant pas qu'il pût exister de grand air, leurs valeurs étaient autres et elles étaient probablement heureuses.

Sa place à elle - leur disposition ne pouvait jamais changer par manque d'espace - se trouvait sur le milieu d'un des grands côtés, leur réduit étant de forme rectangulaire, et pour cette raison c'est elle, sans doute, qui réalisa la première que quelque chose se passait. Ce côté se mit à frémir, à trembler, puis à sérieusement se soulever, comme tiré vers le haut dans un vacarme inimaginable. Pour la première fois il se passait quelque chose, quelque chose changeait dans ce petit monde sans événement. Bien sûr elles avaient déjà senti quelque mouvement, quelque bruit, mais ce toujours à l'extérieur, au-delà des limites qui leur avaient été imposées et qu'elles avaient toujours connues. Mais là c'étaient ces limites même qui se mettaient en mouvement. Et c'était leur tranquillité, leur immobilité, leur innocence, c'était leur vie qui était violée.

Au premier rang, aux premières loges de cette apocalypse, sa paisible petite vie d'antan lui parut soudain bien courte, bien lointaine, et ne pouvant comprendre ce qui se passait elle commença à la regretter. Sûrement était-ce la première fois qu'elle éprouvait un sentiment négatif, et un grand frisson la secoua. Jamais elle n'avait pleuré, elle ne savait pas pleurer, elle ne savait même pas ce qu'était une larme et se contenta de sangloter maladroitement.

La paroi s'arracha complètement et elle fut inondée de lumière et d'air un peu frais. S'est-elle crue morte à cet instant ? On ne le saura jamais mais elle ne s'est pas débattue. On s'empara d'elle brutalement, laissant une place vide au milieu de ses voisines épouvantées, puis elle se sentit bousculée, écrasée, soulevée. Elle a dû mourir dès la première brûlure et finalement, n'a peut-être pas souffert. Pas autant en tout cas que ses camarades qui, elles, ont vu que leur sort à toutes, l'une après l'autre, serait de partir en fumée, lentement, pour finir dans un cendrier.



31/01/2011
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