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Ah, mon Dieu, mais où ai-je bien pu mettre ce mot ? Je marchais le long d'une ligne et tel un funambule orthographique j'essayais de manipuler adroitement, d'utiliser savamment le balancier grammatical, de faire corps avec lui. Est-ce une bourrasque d'inattention qui m'a fait hésiter, ou un manque de coordination dans mes conjonctions ? Non, c'est tout simplement qu'au lieu de regarder en avant, vers l'horizon, j'ai posé mes yeux sur la ligne, au lieu de regarder où j'allais j'ai regardé où j'en étais arrivé ; sur cette ligne, sur ce fil, j'ai vu mes pieds, et derrière eux le vide : il me manquait un mot.

Vertige du vocabulaire …

Sont alors arrivés tous les synonymes, qui bien entendu n'en sont pas vraiment, toujours un ton au-dessus ou en-dessous et le plus souvent un ton à côté, … Mais jamais dans le ton. Je me suis retourné pour relire le chemin parcouru, et s'est alors offerte à moi une multitude de bifurcations, d'évitements, de déviations possibles, où les faux synonymes s'étaient dispersés et semblaient m'appeler à contourner la difficulté qui se présentait à moi. Où était donc ce mot ? Je commençai à scruter ce flou artistique qu'est l'infini lexical, je savais que mon mot était là, pendu au bout de ma langue, perdu au milieu de la langue, mais loin, tellement loin et tellement près aussi, tellement prêt à arriver. Je ne pus m'empêcher de partir le chercher et fis le grand saut : je plongeai dans ce gouffre substantiel, je me plongeai dans l'océan des substantifs.

Il m'apparut d'un coup, comme surgi de nulle part. Je l'avais enfin ! Je pouvais remonter sur ma ligne pour aller l'y placer et continuer mon chemin… Mais de ce chemin je m'étais écarté et jamais je n'arrivai à reprendre le fil, le bon fil, le même fil.

A l'école primaire je rêvais qu'un jour j'arriverais à écrire droit …

J'y rêve encore.